Moins de rétractations chez les femmes: un signe d’intégrité… ou d’inégalités?

Pendant longtemps, les rétractations d’articles sont demeurées marginales dans le milieu académique. Leur nombre a cependant explosé ces dernières années dans les grandes revues médicales, au point de devenir un indicateur scruté de l’intégrité scientifique. Dans ce contexte nouveau, une question demeurait sans réponse jusque-là: pourquoi les femmes apparaissent-elles si rarement parmi les auteurs touchés par une rétractation, alors qu’elles occupent une place croissante dans la recherche clinique et biomédicale?C’est précisément à cette question que s’est intéressé le Dr Laurent Seboe, de l’Université de Genève, dans une analyse exhaustive de 878 articles rétractés, publiés entre 1965 et 2024 dans 131 revues médicales à fort impact. Son constat est sans équivoque. Les femmes ne représentent que 23,1% des auteurs concernés, une proportion qui chute à 16,5% pour les premières auteures et à 12,7% pour les dernières. «Les femmes sont nettement sous-représentées parmi les auteurs d’articles rétractés, en particulier dans les positions de leadership», souligne le chercheur suisse dans son étude publiée récemment dans la revue PLOS One1.Dans le détail, «la sous-représentation féminine est encore plus marquée lorsque la rétractation fait suite à une inconduite scientifique», observe le Dr Seboe. Dans les 811 rétractations dont le motif est connu, près de 67% sont attribuées à une fabrication ou falsification de données, à un plagiat ou à d’autres formes de fraude. Dans ce sous-groupe, les femmes ne signent que 11,5% des articles en première position et 9,6% en dernière. Des écarts qui rappellent que la responsabilité éditoriale retombe d’abord sur les postes de leadership.L’analyse de Seboe montre aussi que les rétractations se concentrent entre les mains d’un petit nombre d’auteurs. Sur les 2505 chercheurs identifiés, 223 comptent entre deux et cinq articles retirés et 37 en totalisent plus de cinq. Dans ce groupe restreint, 91,9% sont des hommes. Ce déséquilibre ne traduit pas une propension masculine à la fraude, mais un schéma récurrent: les rétractations touchent d’abord celles et ceux qui occupent les fonctions les plus visibles et les plus exposées au sein des équipes.L’importance des positions de leadershipPour le médecin de famille suisse, ces écarts tiennent d’abord à la distribution des rôles dans la recherche biomédicale. Les rétractations visent surtout les premiers et derniers auteurs, ceux qui assument la responsabilité intellectuelle du projet. Or les femmes demeurent moins présentes à ces postes. «Une partie de la différence reflète simplement une moindre exposition au risque», précise le Dr Seboe. Dans Nature2, la journaliste Jenna Ahart réagit à son étude et souligne que ces positions, encore majoritairement masculines, concentrent à la fois le prestige et la charge des erreurs potentielles.Cette moindre présence en position de leadership n’explique toutefois pas tout. La visibilité joue aussi un rôle déterminant. Dans son article, Jenna Ahart cite le chercheur Curt Rice, ancien recteur de l’Université norvégienne pour les sciences de la vie, pour qui les travaux signés par des équipes très exposées sont davantage scrutés. «Les chercheurs les plus visibles sont aussi ceux dont les erreurs sont les plus susceptibles d’être détectées», rappelle-t-il. Or ce sont encore majoritairement des hommes qui occupent ces rôles, ce qui amplifie mécaniquement leur présence dans les rétractations.À lire aussi: La nécessité d'une section dédiée à la santé des femmesD’autres facteurs, plus subtils, entrent aussi en ligne de compte. Dans Nature, Jenna Ahart rappelle que les milieux académiques n’imposent pas les mêmes attentes aux femmes et aux hommes. La journaliste scientifique mentionne la psychologue sociale Sapna Cheryan, pour qui les chercheurs masculins sont souvent encouragés à proposer des idées plus audacieuses, tandis que les femmes sont incitées à davantage de prudence. «Ces différences de socialisation influencent la manière dont les scientifiques s’exposent aux critiques», explique-t-elle. Ce biais culturel façonnerait donc ensuite la trajectoire des projets et les risques associés.Quand les rétractations explosentCette dynamique s’inscrit dans un paysage où les rétractations se multiplient. En 2022 et 2023, leur nombre a dépassé les 10 000 retraits annuels, soit environ 0,04% de la production scientifique mondiale. Un chiffre à interpréter avec prudence, car le volume total de publications a lui aussi bondi, avec une hausse estimée à près de 50% depuis 2016. Dans Nature, Jenna Ahart souligne que cette hausse des rétractions ne traduit pas nécessairement un effondrement de l’intégrité scientifique, mais un renforcement des outils de vérification. «Nous voyons aujourd’hui ce qui passait autrefois sous le radar», écrit-elle, en référence aux logiciels anti-plagiat, au contrôle d’images et au dépistage des paper mills, ces «fermes» produisant des articles frauduleux à la chaîne.À lire aussi: Chirurgiennes en milieu inhospitalier: une ethnographie des préjugés sexistes dans les blocs opératoiresLe Dr Seboe reste toutefois prudent quant aux mécanismes précis en jeu. «Cette étude n’avait pas pour objectif d’explorer les raisons derrière ces différences», rappelle-t-il, tout en avançant quelques pistes. Les femmes demeurent moins nombreuses dans les postes académiques supérieurs, moins visibles et moins exposées aux vérifications éditoriales, ce qui réduit mécaniquement leur présence dans les rétractations. Il juge, lui aussi, possible que les types de projets ou les responsabilités qu’elles assument les placent moins souvent dans des situations propices à des retraits pour inconduite.Un miroir des inégalités structurellesL’analyse de Jenna Ahart prolonge ces observations. Pour la journaliste de Nature, les rétractations ne mesurent pas l’intégrité individuelle, mais reflètent avant tout la manière dont le pouvoir scientifique est distribué. Elle souligne que les postes les plus visibles, encore largement masculins, concentrent la responsabilité intellectuelle et les risques associés. Ce que confirme le Dr Seboe, pour qui ces écarts renvoient d’abord à des inégalités structurelles persistantes dans la recherche.Au-delà des chiffres, ces travaux rappellent que la correction de la littérature scientifique n’est jamais neutre. Elle reflète aussi les rapports de pouvoir qui structurent la recherche. Ils invitent à regarder derrière chaque rétractation non seulement l’erreur ou la faute, mais la manière dont les rôles, la visibilité et les responsabilités sont distribués dans les équipes. Un prisme qui éclaire différemment les progrès réalisés et ceux qui restent à accomplir.RéférencesSebo P. Gender disparities among authors of retracted publications in medical journals: A cross-sectional study. PLoS One. 19 nov 2025;20(11):e0335059. DOI: 10.1371/journal.pone.0335059Ahart J. Women seem to retract fewer papers than men - but why? Nature. Nov 2025;647(8091):833-834. DOI: 10.1038/d41586-025-03796-w

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