Loi 41: implications et impacts pour les patients, les pharmaciens et les médecins

Depuis des années, on entend parler de la loi 41 dans les publications s’adressant aux pharmaciens (beaucoup moins dans celles s’adressant aux médecins). Comme les juristes et les fabricants de lois n’ont pas la vulgarisation facile (pas très explicite comme nom, la loi 41 !), nous tenterons de faire les présentations. Le Collège des médecins du Québec et l’Ordre des pharmaciens du Québec ont publié un guide auquel vous pouvez vous référer pour une information plus détaillée1,2.La loi 41 a modifié la Loi sur la pharmacie afin de permettre aux pharmaciens de réaliser certaines activités qui étaient auparavant quasi exclusives aux médecins. Elles sont maintenant aussi des activités des pharmaciens. On a parfois parlé de nouveaux « pouvoirs », comme si une loi faisait de quiconque un magicien. Qui a dit : « Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités » ?Avant de décrire les nouvelles activités des pharmaciens, parlons des responsabilités. Bien sûr, intervenir à quelque niveau que ce soit en pharmacothérapie engage une responsabilité particulière afin de traiter un patient efficacement et en toute sécurité. Cela suppose bien souvent une notion de suivi, pour valider que le patient traité a bien répondu (ou pas) aux médicaments et qu’il n’a pas présenté d’effets indésirables ou préjudiciables.Avec cette ouverture du Collège des médecins du Québec et des médecins en général, une autre réalité prend forme, celle de l’interdisciplinarité. Les activités que les pharmaciens peuvent maintenant faire en toute autonomie devraient imposer une communication pour que chaque membre de l’équipe de soins ait une information complète et à jour. C’est à mon humble avis la règle fondamentale qu’il faut respecter. À cette fin, les ordres professionnels ont développé deux formulaires simples pour faciliter cette communication3,4.Les activitésProlonger une ordonnanceIl s’agit d’un nouveau vocable qui signifie represcrire. La prolongation d’une ordonnance répond à un problème fréquent vécu par les patients. Une ordonnance est échue pour diverses raisons : oubli de prendre rendez-vous avec le médecin, difficulté/impossibilité de prendre rendez-vous, pas de médecin de famille, etc. Le nombre de « fax » envoyés par les pharmaciens aux médecins illustre clairement une bonne partie du besoin.Lorsqu’un pharmacien prolonge une ordonnance, il en devient le prescripteur, il est donc responsable de sa décision. Ce n’est pas qu’une mesure administrative pour que le patient (et le pharmacien) se fasse rembourser le traitement par un assureur ou la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Le pharmacien aura le choix de la durée de cette prolongation jusqu’à concurrence de la durée maximale de l’ordonnance prolongée. Possibilité ne veut pas dire obligation. S’il peut être justifié de prolonger une ordonnance d’antihypertenseur pour une année si le pharmacien s’est assuré du contrôle de la tension artérielle, il en va autrement d’une tension artérielle non contrôlée ou d’une ordonnance pour laquelle le pharmacien ne peut s’assurer qu’elle répond aux besoins du patient. À titre d’exemple, des gouttes anti-glaucome peuvent difficilement être prolongées sans une mesure de la pression intraoculaire, laquelle n’est pas réalisable par le pharmacien.La prolongation de l’ordonnance a pour but d’éviter d’interrompre le traitement, pas de se substituer à l’évaluation médicale requise pour le patient. De même, ne prolonger que pour un mois cette même ordonnance d’antihypertenseur alors que la tension artérielle est contrôlée et encourager une consultation médicale (pour cette raison) n’est probablement pas une utilisation judicieuse du temps et des compétences du médecin et du pharmacien. Cela ne me semble pas une façon acceptable pour le pharmacien d’assumer cette nouvelle responsabilité.Dans tous les cas, il est important que le médecin de famille ou le prescripteur soit informé de la prolongation afin que son dossier contienne une information complète de la médication utilisée par son patient.Ajuster une ordonnanceL’ajustement peut prendre plusieurs formes. Par exemple, changer un comprimé pour une suspension orale chez un patient qui a de la difficulté à avaler semble une évidence. Modifier la dose d’un médicament pour compenser une interaction médicamenteuse peut aussi être plein de bon sens, mais peut soulever des questions, selon le médicament et la pathologie traitée, sur la nécessité et les modalités requises pour s’assurer que cet ajustement permettra aussi d’atteindre l’objectif thérapeutique.Lorsque le médecin communique au pharmacien la cible thérapeutique, le pharmacien peut collaborer significativement. Il pourrait ajuster la dose afin d’atteindre la cible visée par le médecin. Nous vivons ce genre de collaboration régulièrement en milieu hospitalier et ce fonctionnement est efficace et harmonieux. Encore ici, la communication et le travail d’équipe avec le médecin semblent le trait d’union incontournable.Faire une substitution thérapeutique Il s’agit de procéder à une substitution pour un principe actif différent de celui prescrit au sein de la même famille de médicaments. Ce sujet peut soulever passions et questionnements. Comme la loi limite cette possibilité aux seules situations, malheureusement trop fréquentes, de ruptures d’approvisionnement, sa portée est limitée. Néanmoins, le médecin doit savoir avec quelle principe actif son patient sera dorénavant traité. C’est pourquoi la loi 41 prévoit l’obligation d’informer le médecin. Les ruptures d’approvisionnement sont désagréables pour les médecins, les pharmaciens et les patients. Ce constat posé, médecins et pharmaciens devront trouver des solutions et les appliquer, pour que le traitement ne soit pas interrompu et s’assurer de maintenir le contrôle de la condition.Administrer un médicament pour en démontrer l’utilisation Avec la balise qui limite la possibilité d’administrer un médicament à seule fin de démonstration, cette activité ne devrait pas poser de problèmes. L’objectif est de s’assurer que le patient sera en mesure de bien utiliser le traitement prescrit et d’en tirer les bénéfices attendus. Cette activité est aussi l’occasion de collaborer plus étroitement avec les infirmières et infirmiers, souvent plus expérimentés que nous à cet égard.Prescrire et interpréter une analyse de laboratoire Strictement liée à l’évaluation de la sécurité, à l’atteinte des objectifs thérapeutiques ou à l’analyse pharmacocinétique, cette activité a la particularité d’être encadrée légalement de façon différente en pharmacie communautaire et en établissement. Ce détail technique n’a que peu d’importance pour les cliniciens.Avec le déploiement du Dossier Santé Québec (DSQ), le risque de duplication d’analyses sera (mieux) bien contrôlé. Les résultats seront aussi accessibles aux médecins. L’interprétation par le pharmacien devrait être transmise au médecin, comme cela se fait en établissement de santé.Prescrire un médicament lorsqu’aucun diagnostic n’est requisCette activité a pour but de faciliter l’accès à certains médicaments d’ordonnance pour des conditions pouvant être « auto-diagnostiquées » par les patients, et pour lesquelles ces derniers consultent fréquemment les pharmaciens. Il faut savoir que les conditions sont limitées (la liste en compte 11) et strictement encadrées.Prescrire un médicament lorsque le diagnostic est connu Il s’agit de « represcrire » un médicament qu’un patient a déjà reçu suivant un diagnostic médical. Les conditions sont limitées encore une fois à une liste, et assujetties à une limite de temps après laquelle une réévaluation diagnostique est requise. Il s’agit souvent de conditions relativement mineures qui font l’objet de consultations médicales sans rendez-vous.ConclusionLa possibilité de poser un acte n’en fait pas une obligation. Ces changements ne sont pas anodins. Ils témoignent de l’évolution de nos professions respectives. L’expérience en établissements de santé témoigne que ce type de collaboration entre médecins et pharmaciens dans les soins offerts aux patients fonctionne bien.Cela ne veut pas dire qu’aucun ajustement ne sera requis des pharmaciens communautaires (même en établissement) et des médecins exerçant en cabinet. Comme je le mentionnais en introduction, ces nouvelles possibilités ne se traduiront en bénéfices pour les patients que si le fonctionnement est harmonieux.Les pharmaciens devront modifier l’organisation de leur travail et développer de nouvelles habitudes de communication avec les médecins. Cela dépassera largement la transmission des « fax de renouvellement » qui, sans disparaître, devraient se transformer en échange d’information. À défaut de faire circuler cette information, la coordination des soins s’avérera difficile, voire dangereuse. C’est à cette modification des façons de faire que nous sommes conviés, médecins et pharmaciens.Nous avons présenté ce qui se trouve dans la loi. Reste à voir comment les modalités de remboursement par la RAMQ et les assureurs privés en biaiseront l’esprit et la lettre…* Le pharmacien Marc Parent, B. Pharm., M. Sc., exerce à l’Hôpital Saint-François-d’Assise du CHUQ depuis 1988, notamment en médecine interne, en cardiologie et en soins palliatifs. Il est membre expert du Comité scientifique de l’évaluation et de l’inscription de l’INESSS.1. http://www.cmq.org/fr/medias/profil/commun/FAQ/~/media/9275A1A541A946EF9E1D17FC80894E07.pdf?815022. http://www.opq.org/fr-CA/pharmaciens/application-de-la-loi-41/guide-d-exercice/3. http://www.cmq.org/fr/medias/profil/commun/FAQ/~/media/F983D63C042D43DC 86C406813F4D47CD.pdf?81502 ou http://www.opq.org/cms/Media/1705_38_fr-CA_0_Formulaire_communication_Information.pdf4. http://www.cmq.org/fr/medias/profil/commun/FAQ/~/media/5D74BDF31CFB46E0A999CB8D2F69A221.pdf?81502 ou http://www.opq.org/cms/Media/1706_38_fr-CA_0_Formulaire_communication_Attention_requise.pdf

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Marc Parent