Les rangs se desserrent derrière le trio alpha qui dirige la lutte québécoise contre le SRAS-CoV-2. Dans la population, l’épuisement est perceptible. À preuve, cette difficulté pour un certain nombre de citoyens à bien assimiler le concept de rester chez soi.La solidarité naïve et béate affichée les premières journées, caractéristique de la bonhomie locale, laisse place peu à peu au doute, à la peur et à la suspicion.C’était non seulement normal et prévisible, mais aussi souhaitable ! Bref, tout se déroule comme il le fallait : de l’esprit de clan nécessaire au lancement des hostilités contre la bête, qui fait tant défaut dans d’autres sociétés occidentales (c’est p’tit le Québec, mais ça a ses avantages !) jusqu'au commencement d’une certaine grogne.L’esprit critique de certains exprime ces sentiments collectifs. Qu’il s’agisse de celui des journalistes ou du vôtre, professionnels sur le terrain, face à vos supérieurs, ça ne peut qu’amener nos autorités au niveau supérieur. Juste au moment où ça commence à tirer un peu la langue partout dans la société civile. Sauf au front évidemment, où, pour vous, tout ne fait que commencer.Si l’on comparait la lutte contre le coronavirus à un marathon, il faudrait tenir compte du fait que le coureur ne s’est d’abord jamais entraîné avant d’entreprendre la course. Au kilomètre zéro, il affichait la même naïveté que les Québécois au 13 mars dernier, lors de la toute première conférence de presse quotidienne du premier ministre François Legault.Disons, Sylvain, 50 ans, activité préférée : le golf, et un indice de masse corporelle de 29, indiquant donc aussi une préférence pour l’après-golf. Mais grand Dieu qu’il était habité de motivation ! Un peu comme celle de ce personnage de l’annonce publicitaire de Placements Québec, patate de sofa qui se lève au son d’un grand « Baon » et entreprend du coup un tour du monde à vélo.Eh bien si, collectivement, nous étions Sylvain, nous viendrions de franchir le cinquième kilomètre. Ça commence à être dur. À faire mal. À rentrer dedans. Et il reste 37 kilomètres. Ou sept fois ce qu’il vient de parcourir. Il lui faut donc les fameuses ressources insoupçonnées.Comme pour lui, le rythme de détermination dont nous étions capables au début de cette campagne contre la Covid-19 commence à ne plus être soutenable. Mais on poursuit la course quand même. Parce qu’il faut la poursuivre.Cet essoufflement de la population – je vous demande d’être indulgents, vous les gens du front – est NORMAL, je le répète. Il ne faut pas que vous y voyiez, de votre côté, une occasion de découragement.Mais nous entrons quand même dans la partie déterminante de ce marathon, celle où ça passe ou ça casse, celle où, collectivement, nous devrons trouver notre second souffle, celle où la discipline collective sera à la fois mise à rude épreuve, tout en étant plus que jamais seule garante de la réussite. À savoir : éviter la déroute à notre réseau de la santé et la banqueroute à la société.Et ce ne sont pas les mimiques comiques du Dr Arruda agrémentées d’onomatopées qui donneront l’énergie nécessaire à la population pour qu’elle trouve son flow. Pour ça, il nous faudra plus de données. Beaucoup plus de données. Des hypothèses chiffrées. Des détails sur le profil des personnes infectées. Des chiffres sur l’état des troupes.Les seules données que, jusqu'à présent, le gouvernement laisse un peu émerger ne permettent pas de tracer le portrait réel des tendances. Et quand on en demande un peu plus, il nous est difficile de les considérer comme crédibles. Mercredi dernier, nous avons demandé au MSSS des chiffres sur les effectifs touchés par la Covid-19 ou en quarantaine. Le chiffre n’arrivait même pas au total de celui que nous avait fourni un seul CIUSSS...Je disais dans mon tout premier billet de cette série spéciale, il y a deux semaines, à quel point la confiance allait être l’arme de persuasion massive. À quel point elle allait être déterminante afin de maintenir l’engagement de tous. Mais il faut la nourrir, cette confiance.Libérez donc les données brutes, histoire que les pros, vous les experts cliniques comme nous les journalistes, puissions tracer un portrait réel des tendances. Ce serait en soi utile pour convaincre la population du bien-fondé d’un resserrement des mesures de confinement, si besoin était. Ou encore pour l’encourager à se garder cloîtrée, avec la promesse de jours meilleurs et d’une certaine libération à moyenne échéance, dans la situation où l’évolution de la situation ne nécessitait pas un autre tour de vis.En Ontario, le premier ministre Doug Ford a annoncé jeudi matin qu’il allait diffuser toutes les projections qu’il a en main. « It's gonna be hard for some to see that », a-t-il prévenu.Mais, au moins, sa population comprendra mieux la stratégie et le plan de match en cours.