Cas prise de tête: un conjoint source d’interférences dans le diagnostic

Médecin de famille spécialisé dans la santé sexuelle et la santé des femmes, le Dr Marc Steben a longtemps pratiqué à la clinique de la vulve de l’Hôpital Notre-Dame, désormais affilié au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). C’est dans ce cadre qu’il y a une dizaine d’années, il a reçu en consultation une femme dans la cinquantaine référée par un gynécologue pris au dépourvu. «Elle était décrite comme hystérique, mais elle avait de bonnes raisons de l’être», raconte l’omnipraticien qui parle d’elle comme «(sa) patiente aux baguettes en l’air».Celle-ci énonçait de nombreux problèmes gynécologiques et urologiques non diagnostiqués et donc non traités, parmi lesquels des sensations de brûlure et d’urgence au niveau de la vessie, ainsi que des brûlures et des douleurs de la vulve qui empêchaient toutes relations sexuelles. Brûlures et douleurs qu’elle disait éprouver depuis son mariage, trois décennies auparavant. «Elle avait beaucoup d’autres antécédents, dont une MPOC sévère [maladie pulmonaire obstructive chronique] causée par la consommation de deux paquets de cigarettes par jour», signale le Dr Steben.À lire aussi: Infections à levures ou lichen simplex chroniqueElle présentait également deux particularités non médicales. À l’aise financièrement, elle avait au fil des ans consulté une ribambelle de spécialistes au Canada et aux États-Unis. Deusio, son mari l’accompagnait toujours en consultation. «Il était très envahissant et très contrôlant», relate le médecin de famille qui se souvient que l’homme répondait souvent à la place de son épouse, s’obstinant avec elle sur les réponses à fournir.À l’issue du premier examen gynécologique, le tableau paraît «assez évident» pour le clinicien: lichen plan doublé d’une infection chronique à levures maintenant prouvée par culture. Il lui prescrit donc de l’halobétasol en onguent, un puissant corticoïde topique à appliquer tous les soirs, et un traitement prophylactique par fluconazole, à raison de 150 mg une fois par semaine.Trois mois après, la patiente revient le voir. Elle se trouve en échec, car elle n’a tout bonnement pas pris ses traitements. «Elle avait écouté son pharmacien qui avait remis en question mon diagnostic du lichen plan en lui disant que le corticoïde allait lui causer plein de problèmes, mais aussi que le fluconazole était dangereux pour son foie», rapporte le Dr Steben. Qu’à cela ne tienne, il lui represcrit les mêmes molécules en demandant que le pharmacien l’appelle. Ce que ce dernier ne fera pas.Le rendez-vous suivant, trois mois plus tard, la quinquagénaire fait état d’un certain soulagement. Le corticoïde et le fluconazole fonctionnent. Entretemps, elle a consulté un urologue qui a pris en charge ses troubles de la vessie. «Ses symptômes urinaires sont dès lors devenus le problème le plus important», signale l’omnipraticien.Les tests ne montraient pas d’infection urinaire et les cystoscopies qu’elle avait subies ne montraient pas de cancer. Le Dr Steben pose alors un diagnostic par exclusion. Il conclut à une cystite interstitielle, aussi appelée syndrome de la vessie douloureuse, qui se caractérise par une brûlure chronique de la vessie dont l’origine est non infectieuse. Pour la traiter, il lui prescrit du pentosane polysulfate sodique (100 mg, trois fois par jour).Lire aussi: Douleurs pelviennes chroniques: comprendre leur origine pour mieux les traiterChangement d’approcheBis repetita. La patiente ne prend pas son traitement, car pour son urologue, la cystite interstitielle n’existait pas. «Il l’avait convaincue que c’était une maladie inventée», se rappelle avec amertume le médecin de famille. À défaut, il lui recommande une physiothérapie du plancher pelvien qui donne «de bons résultats pour les douleurs lors des rapports sexuels comme pour la cystite interstitielle». Bilan mitigé. En complément, le Dr Steben préconise ensuite une approche cognitivo-comportementale, «qui a fait ses preuves», et l’adresse à un psychologue spécialisé en douleurs gynécologiques.Cinq ou six ans se sont ainsi écoulés depuis la première consultation. La femme va mieux, mais continue de ressentir des douleurs vulvaires qui l’empêchent d’avoir des relations sexuelles. À l’occasion d’un énième rendez-vous de suivi, le Dr Steben profite de l’absence du mari, occupé à garer sa voiture. «C’était la première fois qu’elle était seule dans mon bureau. Je lui ai fait le récapitulatif de tout ce qu’on avait tenté puis je lui ai dit qu’à un moment donné, il fallait que le chat sorte du sac.»La visite d’après, l’omnipraticien découvre le pot aux roses et les bras lui en sont tombés. Sa patiente a avoué au psychologue, lors de son dernier rendez-vous, qu’elle n’avait jamais eu de relations sexuelles avec son mari et qu’il ne l’avait pas même touchée sexuellement une seule fois depuis leurs noces.À consulter: Syndrome génito-urinaire de la ménopause: nouvelles lignes directrices«Ce n’était pas un mariage heureux et son conjoint n’était pas, selon elle, un “vrai” hétérosexuel», rapporte le clinicien. Il rappelle que cette femme présentait de vrais symptômes et souligne la «grosse charge émotive» qui entourait sa désirabilité et sa sexualité finalement inexistante. «D’habitude, l’approche de couple réduit l’anxiété de performance chez la femme et amène son partenaire à mieux la comprendre, à trouver une sexualité adaptative. Là, c’était l’inverse.»Une fois le chat sorti du sac et sa séparation d’avec son mari, les douleurs de la femme ont disparu. «J’ai continué de la suivre deux fois par an. Son lichen plan était toujours là, mais il était sous contrôle et elle n’a plus fait d’infection à levures», mentionne le Dr Steben.Le médecin convient qu’il a été souvent désemparé par l’histoire de cette patiente. «Dans les cas les plus compliqués, les plus désespérants, il y a très souvent du non-dit. Des fois, c’est de l’inceste. Des fois, c’est de la violence. Et des fois, c’est un cumul de choses qui bouleversent complètement la vie d’une femme. Ces choses s’imbriquent comme des poupées russes et quand on soulève une poupée, il y en a une autre en dessous…. Il ne faut pas lâcher et les soutenir coûte que coûte pour gagner leur confiance. Le pire serait de les abandonner.»Post-scriptum: la patiente a fini par arrêter de fumer dans l’intervalle.Un patient vous a donné du fil à retordre, que ce soit pour établir son diagnostic, trouver le bon plan de traitement ou pour toute autre raison qui sort de l’ordinaire? 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