Antihistaminiques de première génération: des ajustements simples pour réduire le délirium

Le délirium demeure l’une des complications les plus redoutées chez les aînés hospitalisés. Fréquent, souvent évitable, il augmente la mortalité, la durée de séjour et le risque de déclin cognitif. Dans ce contexte, chaque facteur modifiable compte. Pourtant, certains antihistaminiques continuent d’être utilisés pour des indications variées, parfois éloignées de leur cible pharmacologique. Une étude menée en Ontario apporte un éclairage particulièrement pertinent. Ses auteurs rappellent que «les antihistaminiques de première génération comptent parmi les principales causes d’effets indésirables liés aux médicaments chez les adultes âgés». Leur potentiel anticholinergique et sédatif est bien connu, mais leur contribution exacte au délirium en milieu hospitalier demeurait largement indéterminée. C’est pour clarifier cette zone grise, alimentée par des données limitées et des pratiques hétérogènes, que cette analyse à grande échelle a été réalisée.À consulter: Il faut repenser la maladie d'Alzheimer, selon des chercheursPubliée dans le Journal of the American Geriatrics Society, l’étude analyse 328 140 hospitalisations de patients de 65 ans et plus admis entre 2015 et 2022 dans 17 hôpitaux ontariens. Les chercheurs ont comparé le risque de délirium selon le taux de prescription d’antihistaminiques de première génération propre à chaque médecin hospitaliste - principalement la diphenhydramine, l’hydroxyzine, la cyproheptadine et la chlorphéniramine. Le délirium a été identifié au moyen d’un outil de détection par apprentissage automatique validé, et les analyses ont été ajustées pour l’âge, le sexe, les comorbidités, la démence préexistante, la sévérité clinique et la provenance du patient.Les résultats montrent une association nette entre la propension individuelle des médecins à prescrire des antihistaminiques de première génération et le risque de délirium de leurs patients. Dans l’ensemble de la cohorte, le délirium a été identifié dans 34,8% des hospitalisations. Cette proportion augmentait selon les pratiques médicales. Les analyses ajustées révèlent un gradient clair:32,3% de délirium chez les patients suivis par les médecins les moins prescripteurs;36,6% chez ceux suivis par les plus prescripteurs;chaque hausse absolue de 1% du taux de prescription est associée à une augmentation de 8% des probabilités de délirium (odds ratio ajusté [aOR] 1,08; intervalle de confiance [IC] à 95% 1,05–1,10);les patients pris en charge par les cliniciens du quartile le plus élevé présentent un risque accru de 41% par rapport à ceux du quartile le plus faible (aOR 1,41; IC à 95% 1,28–1,56).Un levier concret d’améliorationLes auteurs soulignent que «ces résultats suggèrent que les antihistaminiques de première génération pourraient constituer un facteur de risque modifiable de délirium chez les aînés hospitalisés». Ce signal persiste dans la plupart des analyses de sensibilité et dans tous les sous-groupes étudiés, qu’il s’agisse de l’âge, du sexe, d’une démence préexistante ou de la provenance d’un CHSLD. Les limites demeurent, notamment l’absence de séquence temporelle précise entre l’administration du médicament et l’apparition du délirium, mais l’ensemble du faisceau de données pointe dans la même direction.À lire aussi: Cas prise de tête: des symptômes parkinsoniens qui prêtent à confusionPour les auteurs, ces résultats doivent inciter les cliniciens à réévaluer l’usage des antihistaminiques de première génération chez les aînés hospitalisés. Ces molécules n’offrent aucun avantage clinique démontré par rapport aux antihistaminiques non sédatifs, tout en augmentant le risque de confusion et d’interactions délirantes. L’étude souligne d’ailleurs que «les antihistaminiques de première génération ne présentent pas de bénéfices d’efficacité par rapport aux antihistaminiques non sédatifs, qui sont associés à moins d’effets nocifs».Elle met aussi en lumière une variabilité importante des pratiques de prescription, ce qui laisse entrevoir, selon les chercheurs, «des possibilités d’amélioration de la qualité des soins». Sur les planchers, l’enjeu est concret: privilégier systématiquement les alternatives non sédatives, réserver ces médicaments aux indications strictement nécessaires et intégrer cette vigilance dans les stratégies de prévention du délirium. Une simple révision des habitudes de prescription pourrait contribuer à réduire un fardeau clinique majeur, dans un contexte de vieillissement rapide de la population.Un appel à revisiter les pratiquesCette étude montre que les choix thérapeutiques, ancrés dans le quotidien des soins aigus, peuvent influencer plus qu’on ne le croit l’évolution cognitive des patients âgés. Elle invite à revisiter ces pratiques à la lumière des données actuelles. Les auteurs insistent d’ailleurs sur le fait que «les antihistaminiques de première génération peuvent contribuer au risque de délirium en raison de leur capacité à traverser la barrière hématoencéphalique et à interagir avec d’autres médicaments délirants». Dans un contexte où la prévention du délirium demeure un défi majeur, l’enjeu dépasse la seule pharmacologie. Il touche la cohérence des protocoles, les réflexes cliniques et la culture de sécurité qui encadre la prise en charge des aînés. Reste à voir comment ces nouvelles données seront intégrées aux pratiques hospitalières. Elles ouvrent la voie à des ajustements simples, mais à fort impact potentiel.RéférenceA. C. Bridgman, M. A. Imrit, S. B. Roberts, et coll. Association of Inpatient Prescribing of First-Generation Antihistamines With Delirium in Older Adults: A Cross-Sectional Study. Journal of the American Geriatrics Society (2025): 1–9, https://doi.org/10.1111/jgs.70121.

Antihistaminiques de première génération: des ajustements simples pour réduire le délirium

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes